en 1987, in RNOB
Accueil Remonter en 1987, in RNOB Plaquette Etude et plan de gestion manuel d'écologie au Kauwberg carte proprietaires

 

Le Kauwberg un site à sauvegarder
à Uccle

Par Martin Tanghe.
article paru initialement dans "réserves naturelles"n° 2 avril 1987 Revue des R.N.O.B.

Introduction

 Soustrait à l'urbanisation par le plan de secteur comme " zone de réserve foncière ", le Kauwberg apparaît aujourd'hui comme un vaste espace rural d'environ 50 ha enclavé dans la ville.

 Selon toute évidence, le toponyme " Kauwberg " équivalent à " Froidmont " en Wallonie, se réfère à la topographie du site qui occupe une colline de 100 m d'altitude battue par les vents, retombant au Nord vers le Geleytsbeek, affluent de la Senne et, au Sud, se raccrochant au plateau de la Forêt de Soignes. Son relief très mouvementé par endroits est lié à l'exploitation récente du sable et de la terre à briques fournis respectivement par les terrains tertiaires (étages lédien et bruxellien) et le loess quaternaire qui les recouvrent.

 Comme en témoignent les cartes anciennes (S. BARTIER-DRAPIER et al., 1958) et la mention " Coudenberge Bosch " associée à celle de " Heyde ", le Kauwberg était un espace boisé entrecoupé de landes au moins jusqu'au début du XIXe siècle. Il faisait partie de la zone de forêt secondaire entourant la forêt domaniale de Soignes. Contrairement toutefois à cette dernière, constituée de hautes futaies, il s'agissait d'un peuplement ligneux bas et clair ; probablement un taillis de Chêne-Bouleau soumis aux usages des populations rurales environnantes (essartage, bois de feu, pâturage, etc.).

Vers 1830, le plateau est défriché et livré à la culture qui persistera jusqu'au lendemain de la deuxième guerre mondiale.

La végétation de friche postculturale ainsi que les terrains déblayés par l'industrie d'extraction évolueront soit vers la prairie sous l'influence d'un pâturage plus ou moins intensif (bovins, poneys et chevaux, ovins), soit vers les fourrés et bosquets feuillus en l'absence d'intervention humaine.

 Sans y inclure les îlots localisés de culture maraîchère, le paysage végétal actuel du Kauwberg n'est donc pas naturel au sens strict du terme, mais plutôt semi-naturel, constitué d'une flore et d'une végétation largement sauvages et spontanées, reflets d'une influence humaine séculaire et des conditions actuelles des sols.

Le paysage végétal

En première analyse il montre à peine une demi-douzaine de types physionomiques de végétation : bosquets feuillus, fourrés épineux, landes à Genêt, ronciers, friches à hautes herbes, prairies et quelques éléments de marais.

La végétation ligneuse attire l'attention en premier lieu, sans doute parce qu'elle paraît la plus facilement déchiffrable. Mais que l'on ne s'y trompe pas, car, résultant de la recolonisation spontanée de terres récemment libérées de l'emprise humaine, les bosquets et fourrés sont en pleine évolution, loin de l'équilibre et dès lors parfaitement hétérogènes, d'autant plus que la composition du sol varie elle aussi.

La tentation est grande, pour esquiver la difficulté, de donner la liste globale des espèces, mais un petit effort de synthèse nous permet malgré tout de distinguer un certain nombre de types de peuplements ligneux.

Restant verte l'année durant, la lande à Genêt à balais (Sarothamnus scoparius) est dite sempervirente. Sa floraison au mois de juin est un des événements majeurs du calendrier phénologique* du Kauwberg. Mais, en tant que stade dynamique héliophile* de succession secondaire* sur les sols sableux ou limoneux pauvres, la Sarothamnaie ne résiste guère à la concurrence du stade forestier. Aussi est-elle instable et fugace.

Ci contre - Le site du Kauwberg à Uccle. 
(situation de 1987 NDLR)

Carte de l'utilisation du sol ; légende :

1 bosquets et fourrés feuillus ;

2 friches à hautes herbes et ronciers ;

3 prairies pâturées, 
 
fauchées et abandonnées ;

4 marais ;

5 jardins potagers 
  
actuels et anciens ;

6 jardins privés
  
avec habitations ;

7 talus herbeux ;

8 courbes de niveau.

 

Les bosquets de Bouleau verruqueux (Betula pendula) accompagné du Sorbier des oiseleurs (Sorbus aucuparia), du Chêne pédonculé (Querbus robur) et du Cerisier tardif (Prunus serotina), espèce nord-américaine introduite en Europe au XVIIe siècle et naturalisée*, caractérisent également les sols sableux et sablo-limoneux acides du plateau et plus typiquement encore les pentes abruptes de l'ancienne sablière où ils sont associés à des restes de lande à Bruyère commune (Calluna vulgaris).

Les bosquets et fourrés de Saule marsault (Salix caprea) et Aubépine à un style (Crataegus monogyna) représentent aussi la reprise de possession de l'espace par la forêt, mais sur les sols plutôt argilo-limoneux. Ils se composent surtout d'arbres et arbustes disséminés par le vent (Saule, Bouleau, Tremble = Populus tremula) et les oiseux (Aubépine, Cornouiller sanguin = Cornus sanguinea, Sorbier des oiseleurs, Prunellier = Prunus spinosa, Sureau noir = Sambucus nigra, Bourdaine = Frangula alnus, etc.), mais aussi, sporadiquement, d'espèces plus lentes à s'installer et qui annoncent le climax* forestier : Erable sycomore (Acer pseudoplatanus), Chêne pédonculé, Charme (Carpinus betulus), Frêne (Fraxinus excelsior), Noisetier (Corylus avellana).

 A cause de leur structure spatiale hétérogène où les couverts déjà fermés alternent avec les clairières, la flore herbacée est fortement interpénétrée d'espèces des prairies et friches. Mais dans ce fouillis en pleine évolution, se dégagent déjà des massifs plus forestiers, à base de Noisetier ou d'Erable sycomore, à l'ombre desquels s'établit une flore herbacée plus typiquement sylvatique avec le Lierre (Hedera helix), la Fougère mâle (Dryopteris filix-mas), le Dryoptéris dilaté (Dryopteris dilatata), l'Epipactis à larges feuilles (Epipactis helleborine), la Stellaire holostée (Stellaria holostea), la Laitue des murailles (Mycelis muralis), etc.

En fait, pour importante qu'elle soit dans la diversification écologique et scénique du site, la végétation ligneuse ne couvre jamais que 30 % de la surface, le reste étant occupé par les formations herbacées et principalement les prairies pâturées et fauchées ou abandonnées.

L'étude botanique et écologique des prairies est relativement ardue et rebute le naturaliste, ce qui explique des affirmations un peu expéditives concernant le manque d'originalité botanique du Kauwberg (R. LANGHENDRIES, 1982). Or une observation un peu attentive du tapis herbacé révèle l'existence d'une dizaine de types floristiques et écologiques de prairie reflétant toute une gamme de conditions de sol et d'influence humaine ;

 L'humidité du sol, sa texture e son degré de fertilisation, toutes choses égales quant à son acidité presque toujours élevée, apparaissent comme les facteurs écologiques des prairies du Kauwberg. Ainsi, du plateau jusqu'au fond de la vallée du Geleytsbeek, on observe les groupements suivants :

la pelouse xérophile* maigre à Fétuque des brebis (Festuca filiformis), Canche flexueuse (Deschampsia flexuosa) et Jasione des montagnes (Jasione montana), très localisée sur les sols sableux secs, filtrants et acides ;
la prairie xérocline non fertilisée à Agrostis commun (Agrostis capillaris), Flouve odorante (Anthoxanthum odoratum) et Fétuque rouge (Festuca rubra) sur les sols sablo-limoneux moins secs, mais toujours acides ; c'est ce groupement très riche floristiquement qui renferme deux groupes de plantes remarquables :
d'une part des représentants des prairies sèches non amendées atteignant leur optimum écologique sur les terrains calcaires : le Polygala vulgaire (Polygala vulgaris), le Lotier corniculé (Lotus corniculatus), le Petit boucage (Pimpinella saxifraga), le Trèfle intermédiaire (Trifolium medium) et la Renoncule bulbeuse (Ranunculus bulbosus) ;
d'autre part l'ensemble Houlque molle (Holcus mollis), Solidage verge d'or (Solidago virgaurea), Genêt à balais (Sarothamnus scoparius), Gnaphale des bois (Gnaphalium sylvaticum), caractéristiques des Chênaies clairiérées et landes des sols pauvres et qui par conséquent, peuvent être considérées comme les témoins du passé forestier récent du Kauwberg.

En l'absence du pâturage et de la fauche, la pelouse à Fétuque des brebis et la prairie à Agrostis et Flouve évoluent spontanément vers la lande à Genêt qui se développe très vite, mais cède la place tout aussi rapidement au bosquet de Bouleau, puis la Chênaie à Bouleau à laquelle succédera en principe la Hêtraie climax.

La prairie améliorée et pâturée à Ray-grass commun (Lolium perenne) et Houlque laineuse (Holcus lanatus) se substitue à la précédente, sur le même sol sablo-limoneux acide et relativement sec, à la suite de la fertilisation à base d'azote, phosphore et potasse, et du pâturage par les bovins ; la diversité floristique y cède le pas pour la dominance d'un petit nombre d'espèces très productives mais banales, tandis qu'apparaissent des nitrophiles* comme le Mouron des oiseaux (Stellaria media) et le Pâturin commun (Poa trivialis).
Une variante de la prairie à Ray-grass, riche en Renoncule rampante (Ranunculus repens) et âcre (R. acris) occupe les sols limoneux plus frais des bas-fonds ; floristiquement plus riche, elle contient des espèces intéressantes comme l'Avoine dorée (Trisetum flavescens). 
la prairie mésohygrophile et grasse à Fromental (Arrhenatherum elatius), Dactyle (Dactylis glomerata) et Apiacées (Berce = Heracleum sphondylium, Cerfeuil sauvage = Anthriscus sylvestris, Grand boucage = Pimpinella major) est liée aux sols limoneux fertiles riches en azote nitrique, et au régime de fauche ; 
sur les sols plus humides au contact des marais du Geleytsbeek, apparaît la prairie de fauche hygrocline* à Vulpin des prés (Alopecurus pratensis, Angélique sauvage (Angelica sylvestris) et Laîche hérissée (Carex hirta) ; elle renferme déjà un contingent appréciable d'espèces hygrophiles qui atteignent leur développement maximum dans le groupement suivant ;
la magnocariçaie* marécageuse neutrocline* à Laîche des marais (Carex acutiformis), occupe des sols très humides et instables avec une couche d'humus tourbeux noirâtre et collant (anmoor) surmontant un horizon argileux gris-vert et imperméable (gley) ; l'engorgement constant du sol lié à sa haute teneur en matière organique explique l'exubérance des hautes herbes dicotylédones comme le Cirse maraîcher (Cirsium oleraceum), la Reine des prés (Filipendula ulmaria), l'Angélique sauvage, la Valériane officinale (Valeriana repens), la Salicaire (Lythrum salicaria), le Cirse des marais (Cirsium palustre), tandis que la Grande Prêle (Equisetum telmateia) et la Scrofulaire aquatique (Scrophularia auriculata) témoignent de l'eau carbonatée et faiblement courante qui alimente le marais. 
enfin, les critiques de suintement imbriquées dans le complexe marécageux se signalent par un groupement fontinal à Glycérie pliée (Glyceria notata) et autres espèces rhéohélophiles* comme le Cresson de fontaine (Nasturtium officinale) et la Véronique des ruisseaux (Veronica beccabunga).

 Ces trois groupements bien individualisés, associés à divers faciès et écotones* forment un complexe marécageux de valeur, relique précieuse des milieux humides du bassin de la Senne et de ses affluents, aujourd'hui ensevelis sous les usines, voies de communication et déchets de notre société de consommation et de gaspillage.

 On trouvera une liste plus complète, sinon exhaustive, des espèces végétales du Kauwberg dans la description d'un itinéraire d'excursion dans le site (TANGHE, 1986) (1).

 (1) Disponible chez Mme J. Taylor-Geers, rue de la Montagne 23, 1970 Wezembeek-Oppem (Tél. : 02/731 57 17).

Les fonctions du Kauwberg et son avenir

Pour satisfaire les besoins de l'Homme, l'environnement naturel exerce quatre fonctions principales : production, support, régulation et information (VANDERMAAREL & DAUVELILIER, 1978). Dans son état actuel, îlot de campagne dans la ville, espace vert non organisé, le site du Kauwberg les assume toutes, simultanément et sans interférence ;

la fonction de production couvre non seulement la culture maraîchère localisée en périphérie du site et le pâturage des bovins, moutons et chevaux, mais aussi les produits de la cueillette : pommes, mûres, framboises, champignons, plantes médicinales, ... ;
la fonction de support est assumée par le site lorsque les citadins ne l'utilisent que comme cadre de leurs activités sportives et de délassement ;
la fonction de régulation concerne surtout le rôle de tampon climatique joué par la masse végétale et sa faculté d'absorber polluants, poussières et bruit ;
quant à la fonction d'information, elle correspond aux activités culturelles qui exploitent les ressources propres de l'espace vert non seulement pour l'enseignement des sciences naturelles et la recherche scientifique, mais aussi pour l'expression de la sensibilité artistique.

Pour que le Kauwberg continue de jouer tous ces rôles, en harmonie et pour le plus grand bien de la majorité des citadins, il faut éviter de promouvoir des aspects extrêmes de la fonction de support comme l'urbanisation ou toute autre affection " unifonctionnelle " qui serait de nature à supprimer ou réduire dans une large mesure les autres fonctions du site.

Mais si l'on opte pour la sauvegarde des valeurs naturelles du Kauwberg, il ne suffit pas de le soustraire rigoureusement à l'emprise humaine.
Pour qu'il conserve sa richesse biologique et son intérêt culturel, il faut mettre en œuvre des mesures de gestion écologique visant à maintenir, voire recréer les conditions de milieu favorables aux espèces et communautés vivantes caractéristiques.
Ainsi, la richesse de l'avifaune est conditionnée non seulement par une structure diversifiée du paysage végétal, mais aussi par l'abondance des arbustes épineux et à fruits charnus qui ne peuvent être maintenus sans interrompre la dynamique spontanée du boisement.
De même la flore intéressante des prairies ne peut être conservée qu'en maintenant le fauchage et un pâturage plus ou moins intensif, tandis que les marais, sensibles au drainage et au piétinement, doivent être fauchés pour éviter la rudéralisation et l'invasion par un petit nombre de plantes dominantes.

 Martin Tanghe
Université Libre de Bruxelles
Laboratoire de Botanique
Systématique et de
Phytosociologie

Glossaire des termes techniques

Climax : stade final de la succession dynamique de la végétation, relativement stable, affranchi de l'influence de l'homme et en équilibre avec le climat et le sol.
Ecotone : zone de contact entre deux biocénoses (ou associations végétales) différentes ; dans cette zone de transition la flore et la faune sont souvent plus riches que dans les biocénoses adjacentes.
Héliophile : qualifie une plante ou une communauté végétale se développant de préférence en pleine lumière ; adapté à des intensités de lumière relativement élevées.
Hygrocline : qualifie une plante ou une communauté végétale qui manifeste une tendance pour les milieux humides.
Magnocariçaie : communauté végétale marécageuse dominée par les grandes Laîches comme Carex riparia, C. paniculata, C. disticha, C. acuta.
Naturalisé : qualifie une plante originaire d'un territoire étranger (plante exotique) mais qui se comporte comme une plante indigène, c'est-à-dire capable de se multiplier et d'entrer en compétition avec les autres espèces.
Nitrophile : qualifie une plante ou une communauté végétale se développant sur des substrats enrichis en composés azotés.
Neutrocline : qualifie une plante ou une communauté végétale qui manifeste une tendance pour les sols dont la réaction n'est ni acide, ni alcaline.
Rhéohélophile : qualifie une plante ou une communauté végétale liée à un sol organique (vase) engorgé par l'eau courante.
Succession : ensemble des stades évolutifs de la végétation au départ du substrat nu, depuis les stades initiaux (ou pionniers) jusqu'aux stades terminaux, le stade final étant le climax ; succession secondaire : celle qui se développe lorsque la végétation originelle a été détruite ou profondément modifiée par l'intervention humaine, par exemple le défrichement suivi de la mise en culture du sol.
Xérophile : qualifie une plante ou une communauté végétale liée à des milieux secs, tolérant ou résistant à la sécheresse.

 Bibliographie

 BARTIER-DRAPIER, S. GILISSEN, J., GILISSEN-VALSCHAERTS, S. & PETIT, S. (1958) - Une commune de l'agglomération bruxelloise, Uccle. Géographie, histoire du Moyen Age et des temps modernes. Editions de l'Institut de Sociologie Solvay. Université Libre de Bruxelles. 282 p. + cartes h.t.
 DE LANGHE, J. E., DELVOSALLE, L., DUVIGNEAUD, J., LAMBINON, J. & VANDENBERGHEN, C. (1983) - Nouvelle flore de la Belgique, du Grand-Duché de Luxembourg, du Nord de la France et des régions voisines. Ed. 3, Meise, Patrim. Jard. Bot. Nation. Belgique, 108 + 1016 p., 1 carte h.t.
 LANGHENDRIES, R. (1982) - Le Kauwberg : une butte verte à Bruxelles. Feuille de contact " Réserves naturelles " des Réserves Naturelles et Ornithologiques de Belgique. 2 p.
 TANGHE, M. (1986) - Promenade botanique au Kauwberg, Monographie n°1. Ligue des Amis du Kauwberg. 23 p.
 VAN DER MAAREL, E. & DAUVELLIER, P. L. (1978) - Naar een Globaal Ecologisch Model voor de ruimtelijke ontwikkeling van Nederland. Deel 1. Publicatie van de Ministerie van Volkshuisvesting en Ruimtelijk Ordening. Staatsuigeverij, 'S-Gravenhage. I-VII + 314 p.

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