Le leurre poétique de l’évolution naturelle du
Kauwberg
Le poète rêve et nous ravit de ses images, métaphores et visions
fantasmagoriques. Sans doute
pour lui, l’équilibre mythique auquel il rêve, ou tel qu’il le
ressent est une nature au paysage diversifié, composé de milieux différents
et en équilibres mutuels, une nature où coexistent pâtures, prairies de
fauche, landes à bruyères ou à genêts, et espaces boisés.
Or, la réalité biologique est tout autre, l’équilibre naturel vers
lequel évolue tout espace naturel ou semi-naturel est ce que les
botanistes appellent le climax,
c’est
le stade final de la succession dynamique de la végétation, un état
relativement stable, affranchi de l'influence de l'homme et en équilibre
avec le climat et le sol.
Au Kauwberg, ce climax est une hêtraie succédant à une chênaie mêlée
de bouleaux, charmes et érables. L’avenir du Kauwberg laissé à lui-même,
c’est donc une petite « forêt de Soignes » qui n’aura
plus rien à voir avec sa biodiversité actuelle.
Il nous a donc paru utile de faire le point sur les
notions de la
nature en équilibre telle
que définie par les scientifiques et qui peut se résumer en quatre
concepts :
1. La
nature évolue suivant un processus universel, la succession,
définie par son stade final attracteur, nommé « climax
»
;
2. Ce
dernier présente un certain état de stabilité
(productivité,
structure, diversité) ;
3. Tout
éloignement du « climax » constitue une rétrogression
du
système ;
4. L’homme
est
un élément
exogène à
la nature, pouvant éloigner celle-ci de son état d’équilibre de façon
transitoire .
Il faut donc se garder de prendre ses rêves pour des réalités et croire
qu’abandonner la nature à elle-même est favorable à celle-ci. C’est
un leurre poétique : l’évolution mène au climax,
à un boisement généralisé dans le cas du Kauwberg, lui faisant perdre
sa richesse et sa biodiversité actuelle. Car, pour reprendre la
terminologie, nous sommes en pleine phase de succession,
par manque d’intervention humaine. L’homme doit donc intervenir et
provoquer une rétrogression
pour revenir à un état ancien riche en biodiversité.
Ces notions ne sont pas neuves, même si certains ont l’air de l’ignorer
pour des raisons obscures que nous ne comprenons pas. Il y a-t-il des intérêts
personnels que nous ignorons ?
Aujourd’hui, prétendre qu’il ne faut pas gérer le Kauwberg est tout
simplement un discours hérétique… les écrits scientifiques relatifs
au Kauwberg et faisant autorité ont toujours affirmé le contraire .
Il y a juste vingt ans, au début de la grande bataille du Kauwberg, Martin
Tanghe écrivait dans la Revue
des R.N.O.B, "réserves naturelles" n° 2 d’avril 1987 :
« En l'absence du pâturage et de la fauche, la pelouse à Fétuque*
des brebis et la prairie à Agrostis* et Flouve* évoluent spontanément
vers la lande à Genêt qui se développe très vite, mais cède la place
tout aussi rapidement au bosquet de Bouleau, puis la Chênaie à Bouleau
à laquelle succédera en principe la Hêtraie climax.
… si
l'on opte pour la sauvegarde des valeurs naturelles du Kauwberg, il ne
suffit pas de le soustraire rigoureusement à l'emprise humaine.
Pour qu'il conserve sa richesse biologique et son intérêt culturel, il
faut mettre en œuvre des mesures de gestion écologique
visant à maintenir, voire recréer les conditions de milieu favorables
aux espèces et communautés vivantes caractéristiques.
Ainsi, la richesse de l'avifaune est conditionnée non seulement par une
structure diversifiée du paysage végétal, mais aussi par l'abondance
des arbustes épineux et à fruits charnus qui ne peuvent être maintenus
sans interrompre la dynamique spontanée du boisement.
De même la flore intéressante des prairies ne peut être conservée qu'en
maintenant le fauchage et un pâturage plus ou moins intensif, tandis que
les marais, sensibles au drainage et au piétinement, doivent être fauchés
pour éviter la rudéralisation* et l'invasion par un petit nombre de
plantes dominantes. »
Aujourd’hui, vingt ans plus tard dans la conclusion du livre Le
Kauwberg : une campagne à Bruxelles, témoin de son patrimoine, son
histoire et de sa biodiversité,
le même auteur note :
« Aujourd’hui, cependant, les écologues, naturalistes et défenseurs
du Kauwberg déplorent qu’à défaut de maîtrise foncière, le statut
de protection dont bénéficie le site empêche paradoxalement la mise en
œuvre du plan de gestion commandé en 1994 par SOS Kauwberg et subsidié
par l’IBGE ! En fait,
la perte de telle ou telle espèce végétale et animale ou association de
prairie, n’est peut-être pas irrémédiable, car si un jour la
situation se débloque, le débroussaillement, la fauche et le pâturage
permettront à la nature de retrouver, au moins en partie, sa diversité
d’origine grâce à la mémoire
du sol, celle de sa banque de graines ! »
Il n’y a donc qu’une conclusion à tirer et nous la répétons
depuis toujours à SOS Kauwberg :
Le Kauwberg a besoin d’une gestion raisonnée et durable pour
rester et redevenir ce lieu riche en biodiversité qui le caractérise.
C’est le travail qu’il nous reste à accomplir ces
prochaines années au sein de SOS Kauwberg-Uccla Natura. Nous espérons
que les oreilles réceptives des Ministres et Echevins que nous avons
rencontrés ces dernières années permettront la réalisation de cette
gestion tant attendue et re-créatrice de biodiversité.
Est-il aussi nécessaire de rappeler à chacun que le
Kauwberg est une des zones reprises dans le réseau européen Natura 2000
et qu’il doit faire l’objet d’une gestion appropriée. La législation
bruxelloise est actuellement à la traine. Suite à la problématique du
plateau Engeland il est apparu que l’arrêté bruxellois pris par le
Ministre Gosuin devait être revu et remplacé par une ordonnance. Le
cabinet de la Ministre Huytebroeck y travaille...
En
Wallonie, le décret du 6 décembre 2001 prévoit quatre moyens pour
atteindre les objectifs de conservation du site, soit :
- l'élaboration d'un contrat de gestion active;
-
la réforme des mesures de gestion des sites dont la Région wallonne
assure déjà la gestion;
-
la mise sous statut de réserve naturelle ou de réserve forestière;
-
l'adoption par le Gouvernement wallon de mesures particulières de gestion
active.
C'est l'arrêté de désignation du site qui précisera les objectifs de
conservation, et proposera les moyens à mettre en œuvre parmi les quatre
moyens possibles, en fonction de la situation propre à chaque site
Rappelons enfin quelques passages de l’article 6 de la DIRECTIVE 92/43/CEE DU CONSEIL du 21 mai 1992
telle que modifiée :
1. Pour les zones spéciales
de conservation, les États membres établissent les mesures de
conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de
gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d'autres
plans d'aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou
contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des
types d'habitats naturels de l'annexe I et des espèces de l'annexe II présents
sur les sites.
2. Les États membres
prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales
de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats
d'espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour
lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces
perturbations soient susceptibles d'avoir un effet significatif eu égard
aux objectifs de la présente directive.
3. Tout plan ou projet
non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible
d'affecter ce site de manière significative, individuellement ou en
conjugaison avec d'autres plans et projets, fait l'objet d'une évaluation
appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de
conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l'évaluation des
incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4,
les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan
ou projet qu'après s'être assurées qu'il ne portera pas atteinte à l'intégrité du site concerné et après
avoir pris, le cas échéant, l'avis du public.
*Ndlr : Rudéralisation :
évolution de la végétation vers les plantes croissant spontanément
dans les décombres, le long des chemins et les lieux habités ou pollués
(enrichis) par l’homme : orties, ronces,
oseilles, etc. Ces espèces sont généralement communes, banales
et commensales de l’homme. Certaines plantes invasives, comme la renouée
du Japon, sont des plantes rudérales. Fétuque,
Agrostis
et Douve
sont des herbes caractéristiques de certains types de pelouses |